Encyclique Fratelli Tutti.
Intervention de Michel Veuthey à Einsiedeln le 25 septembre 2021
Cette Encyclique Fratelli Tutti peut choquer !
Elle peut choquer parce qu’elle est complexe, elle est longue, elle peut sembler trop généreuse… Elle peut sembler unilatérale, idéaliste, utopiste…
Et ensuite, il faut le dire, « Fratelli Tutti » rassure, elle rassure parce que, par exemple, au paragraphe 40, le Pape François pose la question suivante : « Comment l’Europe, aidée par son grand patrimoine culturel et religieux, peut-elle trouver un juste équilibre entre le double devoir moral de protéger les droits de ses propres citoyens et celui de garantir l’assistance et l’accueil des migrants? » On voit là un élément solide, fondé sur deux piliers : le pilier du respect des habitants de nos propres pays et le pilier du respect des gens qui viennent immigrer chez nous.
Et ce n’est pas tout ! Ainsi, les deux paragraphe suivants ; le paragraphe 50:, « Comment prendre le temps du dialogue, capable de recueillir patiemment la longue expérience des individus et des peuples? » Je pense que ce que vient de dire l’intervenant précédent, Pascal Lüthi est aussi très intéressant. Il faut prendre le temps du dialogue et c’est seulement par ce dialogue qu’on va réussir à comprendre qui est l’autre et à l’accepter, et aussi à lui faire accepter notre propre identité.
En outre, il y a d’autres paragraphes qui m’ont semblé très concrets : sur l’éducation, sur le droit international, sur les droits de l’homme, et aussi le droit des réfugiés, le droit international humanitaire. C’est bien, c’est parfait. J’en suis enchanté. Et mentionnons aussi des programmes, des programmes qui me semblent intéressants aussi pour nous et que je pense, nos amis allemands ont mis en pratique : des programmes de parrainage privés et communautaires (paragraphe 130). Et comme vous le savez, même en Suisse, on a eu des programmes de jumelage entre villages et villes genevoises, genevoises, mais aussi suisses. Et fait, ces parrainages ont été très utiles avec des villages et des villes roumaines. Et je pense que nous devons continuer dans ces directions qui sont données par cette Encyclique. Cette Encyclique est effectivement souvent beaucoup plus concrète qu’on ne le croit. C’est dire qu’il y a beaucoup de déclarations générales. Mais aussi, beaucoup de concret. Et, en troisième lieu, quels sont les défis ? Je dirais que les défis c’est d’abord un appel à l’ouverture. Ouverture du regard, du coeur et du corps. Ouverture du regard, d’abord. Comme le disait Son Éminence ce matin, pour réaliser les besoins de l’humanité parce que trop souvent, notre regard est très proche de nous et ne porte pas très loin l’ouverture du cœur.
Ouvrir notre coeur pour mobiliser notre volonté et la nécessité d’agir en disciples du Christ. Et l’ouverture du corps correspond à la mise en action : des phrases et des mots pour agir, pour prêter attention et action aux migrants. Les migrants font partie de notre histoire et de notre actualité. Les migrants sont un problème de notre temps. Ce n’est certes pas le seul problème : les migrants, c’est le symptôme de déséquilibres majeurs dans nos sociétés et dans notre humanité.
Il y a deux jours, à Rome, du 20 au 22 septembre, se tenait un séminaire « Migrants et pélerins, nos ancêtres » organisé par le Cardinal Silvano Tomasi sur les migrants et un Professeur à l’Université de Notre Dame, aux USA, disait : La migration, ce n’est qu’un problème parmi d’autres, et c’est le symptôme de problèmes structurels majeurs. Les migrants, si on compte ceux qui sont déplacés à l’intérieur de leur propre pays, c’est un milliard de personnes, c’est à dire une personne sur sept.
Et quels sont les problèmes dont on devrait se rendre compte : il y a 19 % de la population mondiale qui vivent avec moins de un dollar par jour, 48 % avec moins de 2 dollars 75% avec moins de 10 dollars, 95% avec moins de 50 dollars par jour. Les un pour cent du monde ont autant que les 57 pour cent du monde et les trois personnes les plus riches du monde ont autant que les 48 pays les plus pauvres. Donc, au vu de ces chiffres, on se rend compte qu’il y a des déséquilibres.
Et il faut aussi voir les études démographiques, sachez ainsi que le Nigéria, dans quelques dizaines d’années, sera plus peuplé que la Chine. Et je n’ai pas besoin de vous faire un dessin que le Nigéria, c’est très proche de la Suisse.
Alors bon. Mais tout ça pour vous dire qu’ il faut absolument que nous nous attaquions aux causes profondes et pourquoi je me permets de vous donner un exemple qui n’est pas dans l’Encyclique. C’est l’exemple d’un village qui est exposé aux avalanches. Si vous êtes exposés aux avalanches, vous pouvez faire un mur. Et puis, très vite, vous vous rendez compte que ce mur ne servira pas à grand’chose parce qu’il y aura des avalanches plus fortes qui peuvent passer au dessus du mur et qui même va détruire le village. Le seul moyen pour véritablement se défendre contre l’avalanche, c’est de planter des arbres dans la montagne. Si vous renversez l’image et vous voyez l’Afrique, par exemple et vous voyez le mur comme la Méditerranée, vous réalisez qu’effectivement c’est seulement quand on arrivera à stabiliser économiquement et politiquement ces pays africains, qui sont d’ailleurs victimes, qu’on arrivera véritablement à faire face à la migration. Ainsi, je pense qu’il faut effectivement, en tant que Catholiques, refonder la coopération internationale sur la Doctrine sociale de l’Église catholique. Et là aussi, notre cher pape François dépasse la Doctrine sociale de l’Église catholique puisqu’il dit vouloir le faire aussi sur des valeurs fondamentales partagées par les religions. C’est vraiment très important et je pense que ce qu’il propose, c’est une mobilisation de la conscience publique et non seulement des Gouvernements, mais aussi des organisations internationales. Il parle aussi d’une approche concrète. Donc, je pense que ce que nous devons trouver, trouver dans des documents récents qui sont venus du Magistère à Rome et qui sont, par exemple, « Laudato si' » et évidemment, ce que tu as déjà mentionné, »Laudato si' » aussi mérite d’être relue. Et il y a aussi les « Orientations pastorales sur la traite des êtres humains », avec des propositions qui sont extrêmement concrètes, extrêmement pratiques, qui vont même jusqu’au niveau des paroisses. Ici aussi, je pense que nous devons essayer de nous engager dans le sens de l’intégration de « Fratelli Tutti » dans nos vies personnelles, communautaires, et évidemment aussi dans l’Ordre de Malte.
Et alors que faire ? Comment dire? Je pense que vous pouvez aussi reprendre des exemples européens pour terminer. Je conclurai en citant trois exemples. Le premier exemple est le Plan Marshall. qui a permis aux Puissances victorieuses, et en particulier aux Etats-Unis, de se réconcilier avec des pays qu’ils avaient sévèrement combattus et détruits. Je dirai aussi avec beaucoup de dégâts matériels et de pertes humaines. Deuxième exemple : la Communauté charbon et acier (CECA). Comme vous le savez, se sont trois catholiques engagés Alcide De Gasperi, Konrad Adenauer et Robert Schuman qui, les trois, ont décidé de dorénavant mettre ensemble les ressources de leurs pays pour éviter à l’avenir une guerre entre Allemagne, France et Italie. Je pense que cet exemple de la « Communauté charbon et acier » mériterait d’être imité sur un plan régional ou même sur un plan mondial. Et, finalement, il y a une autre institution à laquelle le Saint-Siège a beaucoup participé. C’est l’OSCE (l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ) qui est sortie de la Conférence d’Helsinki (1973-1994) Là, de nouveau, on a vu une négociation qui se tenait en Europe et qui dépassait l’Europe puisqu’il y avait aussi les Etats-Unis et le Canada, et qui comportait évidemment la Russie et ceux qui étaient à l’époque les États socialistes, mais qui a amené quand même une stabilisation des frontières, une stabilisation de la politique. Et après, finalement, et amener une démocratisation des pays de l’Est. Donc je pense que sur ces trois exemples, j’aimerais vous laisser dire encore quelques mots. Il y a un principe qu’on connait bien en Suisse, mais qui, malheureusement, n’est pas toujours très connu ailleurs, c’est, en plus de la solidarité, le principe de subsidiarité. Subsidiarité, c’est à dire que consultons les gens qu’on veut aider. Consultons ces communautés d’origine de migrations et aidons les dans une solidarité et faisons-le véritablement dans le sens d’une fraternité.
Un dernier mot, en plus du Saint-Père, on aurait aussi pu mentionner Martin Luther King qui disait aussi ou bien nous deviendrons tous frères et soeurs, ou bien nous périrons tous comme des fous “We must learn to live together as brothers or perish together as fools.” J’espère qu’on choisira la première option.
Merci.