Le 17 avril 2024, le Professeur Michel Veuthey, Ambassadeur pour lutter contre la traite des personnes, a été invité à donner une présentation intitulée « Changements climatiques et esclavage contemporain » à l’Institut des Sciences Appliquées de l’Université suisse UMEF. Son intervention s’est concentrée sur les points clés suivants :
1. Les changements climatiques menacent la vie, les moyens de subsistance et les droits fondamentaux de centaines de millions de personnes et soumettent les plus vulnérables à un risque accru de traite des êtres humains et d’esclavage contemporain.
Le changement climatique peut exacerber les facteurs de risque de la traite des êtres humains, notamment la pauvreté, l’instabilité politique, les conflits armés, les migrations et les déplacements forcés. Les victimes de l’instabilité climatique seront plus vulnérables aux formes d’esclavage moderne, notamment le travail forcé, l’exploitation sexuelle et le trafic d’organes.
2. Cercle vicieux entre changements climatiques et esclavage contemporain
Le changement climatique et l’esclavage moderne sont liés dans un cercle vicieux : les personnes qui perdent leurs moyens de subsistance, leurs revenus et leurs liens avec leur communauté deviennent souvent vulnérables à l’exploitation et, dans le pire des cas, à l’esclavage moderne, car elles sont forcées de migrer. D’ici 2050, la Banque mondiale estime que plus de 143 millions de personnes auront été contraintes de quitter leur foyer en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud et en Amérique latine à cause du changement climatique.
Les industries qui sont à l’origine du changement climatique rendent les gens vulnérables à la migration forcée. Les industries extractives et les entreprises agricoles contribuent aux émissions qui alimentent le changement climatique tout en endommageant profondément les terres et l’eau dont dépendent les gens ordinaires. Cette situation plonge de nombreuses personnes dans la pauvreté et les oblige à quitter leur foyer et leur communauté, ce qui les rend plus vulnérables aux trafiquants d’êtres humains et les expose au risque d’esclavage.
De nombreuses victimes des urgences climatiques sont exploitées par des entreprises qui contribuent au problème. De nombreuses personnes contraintes de migrer en raison de l’urgence climatique se retrouvent victimes de la traite des êtres humains et du travail forcé, parfois au sein même des industries qui dégradent l’environnement, bouclant ainsi un cercle vicieux dans lequel le changement climatique est le moteur de l’esclavage moderne et en est le corollaire.
3. Que faire ?
Les problèmes et les solutions peuvent être très différents suivant les situations.
Différentes approches seront nécessaires. La coopération entre tous les acteurs, y compris les populations vulnérables et affectées, est essentielle.
Que pouvons-nous faire ? Nous disposons d’un large éventail d’outils :
– Des instruments juridiques pour lutter contre l’esclavage moderne et le changement climatique : les droits de l’homme, le droit du travail, le droit des migrations, le droit des réfugiés, le droit maritime, le droit pénal international et le droit humanitaire international applicable aux conflits armés.
– Des approches économiques pour traiter la vulnérabilité à l’esclavage moderne induite par le climat et intégrer les considérations relatives à l’esclavage moderne dans les plans nationaux de lutte contre le changement climatique. Nous devons veiller à ce que les chaînes d’approvisionnement en énergies renouvelables, telles que les panneaux solaires, soient exemptes de travail forcé et d’exploitation. Prendre en compte la nécessité de traiter les risques d’esclavage moderne induits par le climat dans les recommandations du groupe de travail sur les déplacements du mécanisme international de Varsovie (WIM TFD) afin d’éviter, de minimiser et de traiter les déplacements liés aux effets négatifs du changement climatique.
– Ne laisser personne de côté. Nous savons déjà que de nombreuses personnes sont particulièrement vulnérables à l’esclavage moderne en raison de leur identité et de leur lieu de naissance. Nous devons nous intéresser aux communautés rurales et agricoles et aux populations autochtones, en nous concentrant sur le genre, le handicap, la caste et d’autres facteurs qui aggravent l’exclusion et augmentent le risque d’esclavage, afin de veiller à ce que personne ne soit laissé pour compte.
– La coopération est la clé : coopération entre les ministères, coopération entre les gouvernements, coopération avec les organisations internationales, régionales et sous-régionales, et coopération avec la société civile (universités, entreprises, communautés locales, villes, médias, religions), sans oublier les populations vulnérables, victimes et survivantes de ces changements climatiques et de l’esclavage contemporain.
Références disponibles ICI.
“The window of opportunity is still open to secure resilience for all – but not for long.”
World Bank, Groundswell (2018)
“From Eastern Congo to the Bangladeshi Sundarbans to the Brazilian Amazon, slave labor is routinely utilized by some of the most ecologically toxic industries on earth, like brick making, clear-cut deforestation, precious-woods logging, and strip mining.”
Kevin Bales (2021)
“Let us not pray to be sheltered from dangers, but to be fearless when facing them.”
R. Tagore, quoted by Christiana Figueres, The Future We Choose. Surviving the Climate Crisis